Sans Prétention a écrit : sam. 11 juil. 2015 09:26
Il est des pleurs dont la salinité est plus douce à la langue que d'autres.
Ceux de cette femme venue se blottir dans mes bras, l'esprit perdu, hoquetant des parcelles de sensibilité que je croyais à jamais oubliées dans le dégueulis de l'infidélité, ont une saveur particulière, méconnue des arts de
ce monde. Ils sont sincères, même s'ils demeurent sans consistance diachronique, éphémères comme une étoile filante que l'on ne revoit jamais. Puissante, réelle, inoubliable, mais insaisissable.
Ainsi est-Elle : volontaire, repentie. Aujourd'hui. Pendant que les horloges s'arrêtent et que la pluie reste en suspension dans le ciel comme dans un Magritte inachevé. Ainsi ne sera-t-elle plus demain, peut-être.
C'est bien la conscience de ce qui nous apparaît comme évident à cette heure qui guide sa main, accrochée à la mienne, dans un projet de maintenance délicate du tic-tac des siècles d'amour à venir.
Ses yeux laissent échapper une buée abondante qui, se cognant contre ma poitrine, éclate en eau raffinée. Il s'en évade, libérée, une odeur d'encens empreinte d'une ferveur désespérée. Elle manifeste une foi impossible, décalée, en notre amour à présent perdu.
Avant ces effusions magnifiques, je lui disais, de ce grand fauteuil noir abîmé - que je ne quitte plus depuis des mois pour ne pas m'affronter au réel -, que j'étais devenu quelqu'un. Quelqu'un de sans doute moins bien que celui qui m'avait précédé ici, dans ce même fauteuil, moins sombre à l'époque où l'innocence était reine.
"C'est de ma faute, c'est moi qui t'ai rendu comme ça. Je suis si désolée..."
Je ne résiste pas à ce souffle là. Il est chaud comme l'Indien qui baigne mon île en été, et, pour une fois, atrocement authentique. Mais dans notre univers fini, la relation duelle se prend les pieds dans un relativisme quantique navrant de banalité. Il existe des variables qui se meuvent dans le vide de ses humeurs torturées. Hier, elle était "loin". Aujourd'hui elle m'aime plus que tout.
J'appréhende sa constance dans un étirement temporel qui se délite et se déchire au fil des événements. Il y a des blancs, des morceaux de noir, et des pansements qui s'effilochent, imbibés d'une potion à la composition incertaine.
La possibilité de s'arracher aux contraintes des aiguilles du cadran en forme d'épées de Damoclès qui tournent au-dessus de nos êtres inéluctablement voués à la dépérition n'existe que dans la mort, et de cela, elle m'en a voulu. Plus que de raison. Je n'avais rien d'autre à lui proposer qu'un bonheur aplati sous le poids de la réalité que j'avais domptée dans mes vies antérieures. J'avais imaginé ces victoires comme le signe d'un enchantement. Pour mon esprit résilient, il y a des trésors en tout. Mon univers, revenu de la mort, sublime le vent qui souffle en décoiffant les têtes, les herbes vertes humbles mais confortables aux pieds, les regards complices, les stupidités partagées et les rires enfantins. Elle, ne conçoit que le trop.
Sans doute aussi, de retour des enfers, mon âme gardait les traces d'une mélancolie se répandant sur sa joie et sa bonne humeur qui ne devaient connaître aucun frein, qui ne devaient souffrir d'aucune impureté. Mon regard souvent triste malgré une joie intérieure que j'aime imaginer comme étant un extrait du sublime paradis, était snobé par son envie écrasante de jouir du meilleur sans entrave, en pensant le meilleur toujours un peu plus loin qu'ici. Je ne sais moi-même si j'ai toujours porté cette lourdeur, ou si son affection conditionnée par une exigence de merveilleux quotidien inconcevable m'a plongé dans ce spleen indompté.
Je la voulais complètement là, elle me repoussait toujours plus loin de sa vie, en mettant dans les interstices devenus des gouffres, un amant, des enfants, des amis, un voyage, des parents, des images rigidifiées de la vie à deux, un amant encore et ma tristesse grandissait.
Je la voulais complètement là, volontaire pour un projet amoureux au long cours, elle est d'accord, sa déclaration ardente me l'affirme, et pense dans le même temps étouffer de cette décision.
Elle se voudrait indépendante, "femme moderne", volage, "libre", et, dans un décroché improbable, s'accroche à ma personne décharnée, vidée de son essence, qu'elle magnifie, qu'elle veut garder dans son pays intérieur. Elle me veut moi et ma fidélité.
Il m'avait semblé ne pas avoir succombé aux succubes errant dans les terres arides des amours post-modernes.
La dénégation de sa mère a tout à coup un écho troublant : "C'est une gémeau." L'astrologie ainsi expliquerait tout. La niaiserie des magazines "in" prescriraient les nouvelles lois sociétales. Avec effroi je constate qu'Elle ne les suit pas, ces préceptes aux relents consuméristes. Elle les fabrique, les accompagne de ses désirs vampiriques, suivant et faisant la masse.
Je ne peux m'empêcher de cracher sur ces dogmes de papier glacé, au nom de la liberté d'être responsable. Les étoiles sont des rêves. Elles ne dictent pas notre conduite, elle se cherchent, et s'atteignent, s'attrapent, et luisent dans le coeur lorsqu'elles deviennent vôtres d'une certaine manière. D'une certaine manière seulement, car les étoiles sont insaisissables, quelqu'un me l'a soufflé un jour. Je ne me déferai pas de cette certitude.
Mais n'est-ce pas cette certitude qui me perd ? Quelque chose l'agite comme un bocal à moitié rempli de désespoir crasseux et de possibles luminescents ne se mélangeant pas. Le bocal est tombé. Je pleure sur le verre qui me coupe la main et me fend les entrailles. Le contenu s'échappe et je ne vois rien, occupé à m'occuper du contenant brisé.
Je n'avais pas senti, le regard tourné vers
ses démons, que les miens étaient en train de grignoter les restes de mes jours par la jambe. Et le peu de joie que j'avais se fait engloutir par un monstre à l'appétit incommensurable.
J'avais détourné la tête pour embrasser le déni avec la langue jusqu'à ce qu'il m'aspire presque en totalité. Ce n'est qu'à la dernière goutte de sang, que je me suis rendu compte de ma sécheresse grandissante.
Je me pensais stable, sûr de mon ego et pourtant, tous les messages envoyés par ses voyages hors de nous ont bien nidifié, tels des oiseaux malfaisants, dans les branches de mon arbre intérieur, un sole pleureur aux racines plantées dans la boue de mon amour déchu.
Je me voyais tellement "bien", recevais tant de bénédictions, que j'ai négligé mon intimité en putréfaction. Il en était de même pour elle. Bien que moins ambitieuse sur sa "maison moi", les espaces qui l'appelaient au dehors lui échappaient en se moquant d'elle. Et nous cheminions côte à côte dans cette tristesse larvée jusqu'à la libération des diables qui se sont joués de mes illusions. Ils m'ont torturés aux endroits où j'avais placé ce qui m'était le plus cher. Ce n'était pas de ma faute. C'était écrit dans le marbre, quelqu'aient pu être mes trajectoires quotidiennes, j'étais prisonnier de son insatisfaction chronique.
J'ai cru, en luttant de toutes mes forces contre la culpabilité que certains veulent faire porter aux victimes des Nérons adultérins, en ma toute puissance. Je me suis voulu vainqueur de ces serviteurs de Baal, demandant toujours plus de femmes, plus d'hommes, de prostituées, et de sacrifices d'enfants, qui brûlent des cités amoureuses une salive au goût égoïste, égocentré, à la commissure des lèvres qui enflent en vampirisant le monde jusqu'à plus soif.
Or, il n'en n'est que peu de choses. Je dois envisager mon combat glorieux pour
mon idée de l'amour comme une blessure de Narcisse et non comme une victoire. Je suis tout juste le chevalier Roland, laissant son chant sur un forum, à l'agonie.
- Alors, vous ne vous sentez pas diminué ?
- Non, rétorquai-je à ce médecin de l'âme avec la foi d'un dévot tenté.
- Qu'est-ce que vous pensez de VOUS ?
- Je suis quelqu'un de bien, je n'ai pas failli..., assurai-je, détaché de moi.
- Vous êtes sûr ? Vous ne vous sentez pas un peu...
- Trompé, bafoué, oui. Mais c'est ELLE qui m'a fait ça. Moi, je suis quelqu'un de bien. C'est ce que disent les gens que je connais..., assure mon assurance (en la) vie d'un ton monocorde.
En ouvrant les yeux, je me rends bien compte que le poison a fait son oeuvre. Je sépare difficilement mes paupières, engluées dans de la poussière carbonisée, des larmes et de l'hémoglobine sèche. La lumière me fait mal. Elle me brûle l'iris. Sorti de ma caverne, en accommodant progressivement ma vision à une réalité barbare, il me faut cracher le morceau pour guérir. Les oeufs malfaisants posés sur mon sole ont éclos. Je suis probablement, très probablement, quelqu'un de bien. Ca me monte à la gorge.
Derrière la vitre de mes croyances et de ma haine grandissante, je dois le vomir à la face du monde : je me suis senti humilié, méprisé, brisé, incapable, incompétent, rabaissé, viril comme une folasse dans une boîte de nuit "hype", meurtri comme un galérien en fin de vie, désert.
Il me faut reconnaître que même si, dans l'espace du réel, je ne suis PAS QUE cela, je l'ai pensé. Et je le pense encore. Je sens la colère monter en moi et je me débats pour ne pas devenir fou mais, j'avoue sous ma torture, j'avoue, je ne veux pas m'en sortir car je me sens indigne. Je ne veux pas qu'elle y parvienne non plus, plus indigne que je ne suis encore. Alors je la salis un peu plus chaque jour. Les oeufs ont éclos : je suis devenu pervers. J'en avais les outils, le flair, l'intelligence peut-être. De victime à bourreau, telle est la trajectoire attendue de ceux qui ont trop souffert. Cela explique aussi sans doute son état de bourreau, elle qui a laissé tant d'âmes en peine sur son chemin.
L'infidélité se consume au pétrole. Il y a des pans de notre vie carbonisés. En sa demeure, comme en la mienne, et la pièce commune est dévastée. Pour l'instant, les enfants sont à l'abri. Peut-être ai-je peur qu'une séparation ne laisse voir l'innommable. Ca sent le souffre.
Il va me falloir détacher ces peaux mortes sous lesquelles ne se montre aucun derme naissant, la chair à vif et le sang écarlate suintant sur le parquet de cet amour passé.
Mais j'expérimente, en remettant dans ma sève des petites perles calcifiées qui jonchent le sol, une circulation de sang nouvelle. Et je me dis qu'il est encore des trésors sous les décombres, m'apercevant avec une allégresse timide et retenue que je retrouve des billes de sourire en reprenant ce qui est à moi par terre et en mettant ce qui est à nous sur la table. Je surveille qu'elle ne me vole rien. Non. Elle me laisse récupérer mon âme, et me donne un peu de la sienne, pour combler parfois.
Ma tristesse me fait osciller entre rage folle et espérance solide. La première est reçue difficilement, on s'en doute, la seconde est anoblie par ses efforts d'un genre nouveau.
Pour une fois, je ne la vois pas tenter d'ouvrir une fenêtre à coups de marteau, pour s'évader. Elle reste. Elle n'a pas vu qu'à force de faire des trous dans la cloison, elle a fini par toucher un mur porteur. Son esprit et son coeur conscientisent par le prisme de cette destruction qu'il est temps d'atteindre l'âge de raison. Alors elle reste. Et me demande de rester pour contempler sa venue au monde, pendant que moi, j'assiste impuissant à ma venue immonde.
La structure ne tient que sur deux planches qui risquent de rompre à tout moment. Fallait-il donc réellement tout casser pour qu'elle puisse "vivre" en choisissant, enfin ?
Elle ne sait pas faire autrement, mais au fond, elle a raison : l'horloge doit se remonter tous les jours et le regard doit rester attentif au moindre retard, sous peine de dérèglement affectif. Il ne s'agit pas de jouer la partition du bonheur "en même temps", mais dans un même temps, un temps circadien, approximativement juste, mais calqué sur le mouvement de la vie qui ne connait pas l'enfermement sur un tempo trop exact.
Je ne sais que faire de toute cette crasse accumulée dans mon bassin glauque. J'étais déjà malade de la penser l'esprit ailleurs souvent, comment surmonter le cauchemar de son corps réellement ailleurs maintenant ?
Je veux abandonner la colère. Etrangler les oisillons du malheur venus nicher dans mon arbre que je veux voir devenir "(h)être".
Pour assainir mes eaux, je n'ai que le rêve et la voie du beau, de l'art.
Est né en moi le désir de vivre un rêve fou, pour me panser, quelqu'en soit le prix, pour revenir ou partir. A jamais. Dans les deux cas. Et si mon rêve se fait long à venir, il ne me restera qu'à errer dans le néant et attendant qu'elle rebâtisse la tour, seule, ou que le monde s'écroule.