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Rester malgré l'infidélité

Posté : mar. 18 sept. 2018 19:30
par Eugene
Choisir de passer l'éponge après la découverte d'un adultère peut être perçu comme une faiblesse. Et si c'était une force ?

Quand son mari, Patrice, lui a confié qu'il avait eu une liaison pendant plusieurs semaines avec l'une de ses collègues, Marianne, 40 ans, a ressenti une profonde tristesse, de la déception et beaucoup de colère. Au milieu de ce maelström de sentiments, une certitude s'est pourtant rapidement imposée à elle : celle de quitter son mari. "Aveuglée par la douleur, je ne voyais pas d'autre solution, se souvient-elle. Je me disais 'aux grands maux, les grands remèdes, je vais tout bazarder !'"

Une vision pour le moins radicale, héritée de siècles de culture judéo-chrétienne, qui fait du couple fidèle et monogame, le seul modèle digne d'être suivi. A cet idéal bien ancré se superpose, dans les cultures occidentales actuelles, une nouvelle vision de la place de la femme dans le couple. Puisque celle-ci est autorisée à demander le divorce, elle devrait nécessairement user de ce droit en cas d'infidélité de son conjoint. Pour laver son honneur blessé, elle devrait le punir en le quittant. Dans son dernier livre Je t'aime, je te trompe (éd. Robert Laffont), la célèbre sexologue Esther Perel résume : "Autrefois, divorcer vous couvrait de honte. Désormais, c'est refuser de le faire alors que vous en avez la possibilité qui vous déshonore."

"On me disait que j'étais faible"

Si l'on hésite, que l'on exprime l'envie de recoller les morceaux, nos proches sont souvent là pour nous rappeler qu'en matière d'infidélité, il n'y a pas d'alternative. Marianne se souvient encore de la fermeté de ses amies. "Je me confiais évidemment beaucoup à elles. Je cherchais à être comprise, épaulée. À chaque fois que j'essayais de comprendre le geste de Patrice, de lui trouver des circonstances atténuantes, elles me disaient que j'étais faible. Elles estimaient qu'il avait fait quelque chose d'impardonnable, que la confiance était trop entamée pour que nous puissions revenir en arrière."

Cette sentence sans appel est d'autant plus douloureuse pour la personne trompée qu'elle émane de ses proches. Au lieu de mots réconfortants, elle ne récolte que des jugements à l'emporte-pièce. Dans Je t'aime, je te trompe, Esther Perel relate l'histoire de Jessica, une jeune femme de Brooklyn, qui découvre l'infidélité de son mari, Julian. En plein marasme, elle fait part de ses doutes à ses parents. La réaction de son père est éloquente : "Il est même allé jusqu'à suggérer que j'étais victime du syndrome de Stockholm ! Je me sens jugée, comme si j'étais une de ces 'pauvres filles' qui laissent leur compagnon infidèle s'en tirer à bon compte."

L'archétype du goujat ou de l'intrigante

Pour Florentine d'Aulnois Wang, thérapeute de couple et auteure des Clés de l'intelligence amoureuse (à paraître le 6 juin chez Larousse), la dureté de nos proches s'explique par un effet de projection. "Ils sont terrorisés à l'idée d'être dans la même situation. Résultat, ils prônent la fermeté qu'ils espèrent avoir dans le même cas de figure, sans avoir à l'esprit que chaque histoire d'amour est différente."

À force de jugements hâtifs, ces proches bien intentionnés finissent par faire de l'infidèle une personne intrinsèquement mauvaise, l'archétype du goujat ou de l'intrigante. Une représentation caricaturale qui ne correspond bien souvent pas à une réalité plus nuancée. "Le problème avec les propos critiques et lourds de sous-entendus qui stigmatisent l'infidélité, c'est qu'ils excluent toute compréhension réelle du problème, et par conséquent tout espoir et toute guérison", écrit Esther Perel.

Contre l'avis de tous, Jessica a décidé de rester avec Julian. Marianne, elle aussi, a pardonné à Patrice. En y réfléchissant, elle a réalisé qu'elle ne voulait pas bazarder tout ce qu'ils avaient construit ensemble. "Notre famille, en premier lieu !, s'exclame cette mère de deux ados. Je me serais sentie égoïste de bouleverser la vie de mes enfants pour une aventure sans avenir. Il y a aussi le reste, qui peut sembler accessoire mais qui compte : la maison, les amis, la famille... Au fond, c'est toute une vie que l'on met dans la balance. Surtout, j'ai réalisé que j'aimais toujours Patrice. Pour moi, le véritable courage, ce n'était pas de partir, mais de rester."

Dépasser sa colère

Dans ce contexte délicat, les regards crucifiants des autres sont bien peu de chose face à la jalousie et à l'aigreur qui peuvent nous étreindre. Il est alors tentant de faire payer à son partenaire son incartade. Marianne le reconnaît : parfois elle rechute. Elle devient alors dure, cassante à l'égard de Patrice. Même si elle sait que son attitude n'est pas constructive, elle peine à se contenir.

"Quand je repense à sa liaison, la moutarde me monte au nez, confie-t-elle. Je lui parle froidement, je le regarde à peine. Peu à peu, je commence à évoluer : je me dis qu'il faut assumer ma décision, que si je suis restée pour faire de notre vie un enfer, ce n'est pas la peine. Pour avancer, il faut dépasser sa colère. Il n'y a pas d'alternative."

Psychiatre, thérapeute de couple, auteur de On arrête ? On continue ? : faire son bilan de couple, (éd. Payot), Robert Neuburger estime qu'il est essentiel de faire honnêtement le point sur sa situation. "Bien sûr, apprendre que son partenaire a une liaison, c'est une souffrance considérable. Reste qu'il faut distinguer l'histoire ponctuelle de la liaison longue durée. Si l'on se séparait à chaque incartade, il ne resterait plus beaucoup de couples ! D'ailleurs, je n'aime pas beaucoup le mot 'tromperie'. L'expression suppose une intention. Or, c'est assez rarement le cas. Les gens qui ont des relations extra-conjugales l'ont rarement prémédité."

C'est ce nouveau regard plus empathique qui a poussé Jessica a reconsidéré la relation extra-conjugale de son mari. "Si on n'acceptait pas que nos partenaires puissent parfois trébucher, on serait tous malheureux et seuls dans notre coin", résume-t-elle dans Je t'aime, je te trompe.

Tout remettre à plat

Pour certains, le coup de canif dans le contrat n'a rien dramatique. Au contraire, il peut même être un nouveau départ. "Bien souvent, il n'y a rien de tel qu'une liaison adultère pour provoquer des changements, éveiller l'attention des partenaires et ranimer une relation qui s'étiole", analyse Esther Perel. Une façon de remettre tout à plat et de réinventer son couple. "Les couples qui parviennent à dépasser cette épreuve en sorte souvent grandis", observe Florentine d'Aulnois Wang.

C'est parfois l'occasion de se poser les vraies questions."Dans mes séances de thérapie, je vois énormément de couples qui ont connu l'infidélité, explique Robert Neuburger. À la personne qui s'estime victime, je demande : 'Vous vous sentez humilié, trompé, vous êtes plein de rage, mais ne pensez-vous pas que cet épisode puisse être un symptôme de quelque chose de plus profond ? Le signe que quelque chose n'allait pas avant ?'"

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