" Les quatre visages de l'infidélité en France. Une enquête sociologique "

Quel comportement adopter face à l’adultère, comment réagir? Beaucoup de questions, quelques débuts de réponses. Ne pas poster de témoignage dans cette rubrique.

Modérateur : Eugene

Règles du forum
Forum ouvert aux invités. il est possible d'envoyer un nouveau sujet ou de répondre sans être inscrit. Votre message sera posté, mais requierera l’approbation d’un modérateur avant d’être rendu visible publiquement. Merci de votre compréhension.
Ne pas poster de témoignage dans cette rubrique.
Répondre
Avatar du membre

Auteur du sujet
Sans Prétention
Modérateur
Modérateur
Messages : 3881
Enregistré le : jeu. 5 mars 2015 19:32

" Les quatre visages de l'infidélité en France. Une enquête sociologique "

Message par Sans Prétention »

Compte-rendu de lecture de : Charlotte Le Van, " Les quatre visages de l'infidélité en France. Une enquête sociologique ", Paris, Payot, 2010. Pour : Revue Française de Sociologie, vol. 52, n°2, p. 419-422

Dans cet ouvrage, Charlotte Le Van se livre à une analyse sociologique de l’infidélité.
L’objectif est d’examiner les raisons de déroger à la norme de l’exclusivité sexuelle dans le couple. L’enquête prend appui sur des récits de vie « d’infidèles » : des hommes et des femmes « vivant (ou ayant vécu) en couple hétérosexuel, ayant (ou ayant eu) volontairement des relations sexuelles extraconjugales avec un(e) partenaire, à l’insu et contre le gré de leur conjoint(e) ou compagnon (compagne) » (p. 37). Plus précisément, le matériau mobilisé est composé de cinquante entretiens (31 femmes et 19 hommes) vivant (ou ayant vécu) en couple cohabitant depuis au moins un an, mariés ou non. Les interviewés ont entre 19 et 67 ans et vingt-quatre d’entre eux ont un niveau scolaire inférieur au bac.


La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’élaboration d’une typologie de l’infidélité.
Le sens donné par les interviewés à leurs relations extraconjugales se décline en deux logiques contrastées. D’un côté, il y a ceux dont les histoires relèvent de ce que l’auteure appelle « l’infidélité relationnelle », autrement dit une infidélité en lien étroit avec la problématique du couple officiel. D’un autre côté, on trouve « l’infidélité personnelle », qui, elle, entretient un lien faible avec la situation conjugale et renvoie plutôt au parcours et à la personnalité des individus. C

es deux grands registres d’infidélité se divisent à leur tour chacun en deux sous-types. Ils constituent les « quatre visages de l’infidélité ».


- Le premier « visage » est « l’infidélité résultant d’une insatisfaction ».
Il est caractérisé par la récurrence de la thématique du « manque ». Les interviewés expriment des carences affectives, sexuelles ou communicationnelles dans leur couple qu’ils cherchent à combler dans une relation extraconjugale. Cette quête se traduit par trois démarches différentes selon les individus et le type de relation conjugale.

* La première est l’infidélité « faux-pas ». Il s’agit d’une transgression occasionnelle du contrat d’exclusivité sexuelle dans le couple.
Elle n’a pas d’impact majeur sur la vie conjugale.

* La deuxième est l’infidélité par « désamour » : les « infidèles » déclarent ne plus aimer leur conjoint.

* La troisième est l’infidélité « compensation », dans laquelle les personnes développent deux relations parallèles, l’une officielle, l’autre secrète, qui se compensent l’une l’autre. Ce type d’infidélité peut paradoxalement contribuer à la pérennité du couple en lui permettant de résister à l’usure des sentiments et aux désaccords entre les conjoints.

Le deuxième « visage » est l’« infidélité instrumentale ».

Cette forme d’infidélité est spécifiquement féminine. Il s’agit de femmes qui utilisent l’infidélité soit pour mettre fin à leur union conjugale (infidélité « prétexte »), soit pour se venger de l’infidélité de leur conjoint (infidélité « vengeance »), soit pour échapper à leur condition (se sentir valorisées, sortir du confinement domestique ou fréquenter un milieu social plus élevé que le leur).

Le troisième « visage » est « l’infidélité expérience ».

Elle concerne plutôt des jeunes engagés précocement dans une vie de couple exclusive. Pour eux, quelques relations extraconjugales contribuent à l’enrichissement de leurs expériences amoureuses et sexuelles.

Le quatrième « visage » est « l’infidélité comme composante “normale” de la vie de couple ».

Il se divise en deux catégories.

* La première est l’infidélité « chronique ». Elle se caractérise par une tendance irrépressible à multiplier les partenaires qui conduit les individus à se percevoir souvent comme « malades ».

* La seconde est l’infidélité comme « principe », qui procède d’une approche hédoniste de l’existence où la séduction et la sexualité tiennent une place centrale.


Hormis les « faux-pas », les « infidélités relationnelles » donnent fréquemment lieu à une réorganisation conséquente de l’existence.

Quand l’infidélité est expliquée par le désamour conjugal, la relation secrète sonne souvent le glas de l’union officielle et parfois la relation adultère devient la relation officielle. Les personnes qui ont suivi cette voie se déclarent en général satisfaites de leur choix.

En revanche, dans les situations de « compensation », les destinées des amants sont moins enviables. Les individus s’installent dans une double vie, source de souffrances : « dans la mesure où les deux relations – officielle et clandestine – sont affectivement investies, ils [les « infidèles »] se retrouvent en effet confrontés à la double contrainte du “ni avec toi, ni sans toi”. La plupart du temps, tiraillés entre deux alternatives concurrentes, ils ne parviennent pas à faire un choix » (p. 70). L’équilibre mis en place pour maintenir les deux relations, parfois durant plusieurs années, est fragile et se rompt un jour ou l’autre. Souvent, c’est la découverte de l’extraconjugalité par le conjoint qui met fin à la relation illégitime.
Parfois, les difficultés occasionnées par la double vie conduisent l’un des amants à rompre, ce qui se traduit aussi par la rupture de l’union officielle. En effet, dans la configuration de la compensation, une relation ne tient que parce que l’autre existe.


Les interviewées qui ont usé de l’infidélité comme d’un « prétexte » pour apporter une réponse à un problème personnel ou conjugal connaissent aussi des ruptures matrimoniales. Pour certaines femmes, rompre avec le contrat d’exclusivité sexuelle dans le couple permet de mettre fin à une union dont elles ne veulent plus et dont elles ne savent comment sortir. Faire connaître au conjoint l’infidélité marque ainsi la fin de la relation conjugale. D’autres femmes aiment avoir des amants de milieux sociaux plus élevés que le leur afin de sortir d’une condition sociale qui leur pèse. Beaux hôtels, restaurants, petits cadeaux, mais aussi accès à une autre vision du monde sont autant d’aspects recherchés dans une infidélité qui ne vise pas à mettre fin à l’union officielle mais à rendre le quotidien plus léger.

En ce qui concerne les plus jeunes (« infidélité expérience »), ni les hommes ni les femmes n’envisagent une rupture avec leur partenaire officiel qu’ils disent aimer et tous déclarent se sentir coupables. Ici, l’infidélité est vécue comme un passage vers une stabilisation de leur relation conjugale.


Lorsque l’infidélité est liée à leur histoire personnelle, les interviewés définis comme « infidèles chroniques » souffrent (ou ont souffert) d’avoir un comportement qu’ils qualifient eux-mêmes de « maladif » ou « compulsif ». En revanche, les « infidèles par principe » revendiquent, eux, leur désir de connaître plusieurs aventures. Néanmoins, ils souhaitent aussi avoir une relation conjugale durable, et comme leur conjoint ne partage pas toujours leur point de vue, les ruptures émaillent le parcours de nombre d’entre eux.


La seconde partie du livre est structurée autour de trois axes d’analyse : les formes temporellement différenciées des relations illégitimes, le « choix » du partenaire extraconjugal et les relations entre le modèle de fidélité et les pratiques « infidèles ».

Tout d’abord, à partir de sa typologie, l’auteur dégage quatre scénarios d’infidélité : la transition, l’infidélité instituée, le turnover et l’aventure sans lendemain. Ces formes de relations extraconjugales peuvent être vécues simultanément par un même individu (par exemple, l’infidélité par principe emprunte à la fois à l’infidélité instituée et à l’infidélité turnover). En outre, une relation clandestine peut prendre des visages différents au cours du temps. Enfin, le devenir d’une relation clandestine ne dépend pas seulement de l’« infidèle » mais aussi de ses partenaires officiel et clandestin. De plus, mis à part les cas où des femmes veulent sortir de leur condition socioéconomique, les relations extraconjugales se tissent, à l’image des mariages, sur les bases de l’homogamie sociale. Enfin, pour ce qui concerne les relations entre l’infidélité et le modèle dominant de conjugalité (et d’amour) qui implique l’exclusivité, seuls les infidèles « par principe » valorisent l’infidélité. Les autres la condamnent et regrettent d’y être entrés. Même les « infidèles par désamour » qui ont quitté leur conjoint et vivent une relation qui les comble avec leur ancien amant auraient préféré ne pas passer par une phase d’infidélité. Paradoxalement, la fidélité est une valeur importante pour les « infidèles ».


Les formes de l’infidélité sont diverses et il n’est pas possible d’en dresser un portrait unique. En revanche, on constate que la durée de l’union officielle revient régulièrement comme un élément explicatif de la transgression de la norme d’exclusivité. Le temps a raison du désir et de l’amour, qui sont au fondement des unions contemporaines.
À cela s’ajoute que, dans notre société, les aspirations individuelles à la mobilité et au changement sont érigées en valeur culturelle et considérées comme synonymes de progrès. Le changement de partenaire apparaît ainsi comme un élément de l’ethos individualiste qui, d’un côté, prône la permanence et la stabilité et, de l’autre, les conteste. L’accès des femmes à l’emploi, la mise en question des rôles sexués traditionnels et l’allongement de la durée de vie (les unions d’autrefois n’étaient pas plus stables que les unions actuelles, mais c’était la mort qui les dissolvait, et non une rupture des liens juridiques) constituent aussi des facteurs favorisant les infidélités et les changements de partenaires. Transformations sociales, valorisation du mariage d’amour, injonctions à la réalisation de soi et à l’épanouissement personnel favorisent ainsi les entrées dans l’infidélité. Cependant, celle-ci n’est pas un phénomène nouveau, loin s’en faut.


Le livre de Le Van est novateur, intéressant et aborde un sujet négligé par la sociologie. Cependant, d’un point de vue méthodologique, deux questions méritent d’être posées. Tout d’abord, on peut se demander si le nombre d’entretiens analysés pour la construction de chacune des catégories et sous-catégories, inférieur à dix, ne rend pas la montée en généralité, via la typologie, un peu périlleuse. Certes, nous sommes en présence d’une enquête qualitative, mais en faisant varier à la fois les critères socioéconomiques, conjugaux (mariés ou non, couples depuis un an ou plusieurs dizaines d’années, etc.) et les situations d’infidélité (installées, occasionnelles, plurielles, uniques, etc.) à partir d’un nombre relativement réduit de cas, il peut paraître abusif de catégoriser les situations. Il aurait peut-être été plus pertinent de raisonner en termes de « portraits » ou de « cas » analysés singulièrement. Ensuite, l’enquête se fonde sur des histoires passées et elle fait du dénouement des relations extraconjugales un élément de construction de la typologie.
Or, le sens que les acteurs donnent à leur histoire est largement et profondément travaillé par leur situation actuelle. « Faux-pas », « désamour », « compensation », « expérience », etc. prennent sens non pas dans la situation d’infidélité elle-même, mais dans le devenir des« infidèles ». Il faudrait préciser que la typologie repose sur le sens donné à l’infidélité a posteriori et non pas sur le sens qu’elle pourrait avoir au moment où les individus la vivent. Finalement, le livre de Charlotte Le Van montre que l’infidélité est un fait social complexe que l’on ne saurait aborder comme une « anormalité » de la relation conjugale et qui mérite que la sociologie s’y intéresse. Il constitue une excellente base pour des enquêtes plus ciblées au niveau des caractéristiques sociodémographiques de la population et des situations conjugales et extraconjugales.


Source
Il existe pour chaque problème complexe une solution simple, directe et fausse (H.L. Mencken)
Avatar du membre

Asturias
Cornes d'Or
Cornes d'Or
Messages : 176
Enregistré le : mer. 22 déc. 2021 08:17

Re: " Les quatre visages de l'infidélité en France. Une enquête sociologique "

Message par Asturias »

Merci SP ! Hyper intéressant (ça nous change dans cette rubrique :fou: ), dommage que l'étude soit très limitée en terme de sujets, parce que je trouvais qu'elle était crédible (biais de confirmation sans doute...)

Particulièrement aimé ce passage :
En revanche, dans les situations de « compensation », les destinées des amants sont moins enviables. Les individus s’installent dans une double vie, source de souffrances : « dans la mesure où les deux relations – officielle et clandestine – sont affectivement investies, ils [les « infidèles »] se retrouvent en effet confrontés à la double contrainte du “ni avec toi, ni sans toi”. La plupart du temps, tiraillés entre deux alternatives concurrentes, ils ne parviennent pas à faire un choix » (p. 70). L’équilibre mis en place pour maintenir les deux relations, parfois durant plusieurs années, est fragile et se rompt un jour ou l’autre. Souvent, c’est la découverte de l’extraconjugalité par le conjoint qui met fin à la relation illégitime.
Parfois, les difficultés occasionnées par la double vie conduisent l’un des amants à rompre, ce qui se traduit aussi par la rupture de l’union officielle. En effet, dans la configuration de la compensation, une relation ne tient que parce que l’autre existe.
Loin de nous tout à la fois et la crainte de l’avenir, et les retours sur un passé désagréable : celui-ci ne m’est plus rien, l’autre ne me touche pas encore.
— Sénèque
Avatar du membre

Auteur du sujet
Sans Prétention
Modérateur
Modérateur
Messages : 3881
Enregistré le : jeu. 5 mars 2015 19:32

Re: " Les quatre visages de l'infidélité en France. Une enquête sociologique "

Message par Sans Prétention »

Asturias a écrit : sam. 14 janv. 2023 12:13 dommage que l'étude soit très limitée en terme de sujets, parce que je trouvais qu'elle était crédible (biais de confirmation sans doute...)
Quantitativement, le site étaye le propos de la chercheuse.

Asturias a écrit : sam. 14 janv. 2023 12:13
En revanche, dans les situations de « compensation », les destinées des amants sont moins enviables. Les individus s’installent dans une double vie, source de souffrances : « dans la mesure où les deux relations – officielle et clandestine – sont affectivement investies, ils [les « infidèles »] se retrouvent en effet confrontés à la double contrainte du “ni avec toi, ni sans toi”. La plupart du temps, tiraillés entre deux alternatives concurrentes, ils ne parviennent pas à faire un choix » (p. 70). L’équilibre mis en place pour maintenir les deux relations, parfois durant plusieurs années, est fragile et se rompt un jour ou l’autre. Souvent, c’est la découverte de l’extraconjugalité par le conjoint qui met fin à la relation illégitime.
Parfois, les difficultés occasionnées par la double vie conduisent l’un des amants à rompre, ce qui se traduit aussi par la rupture de l’union officielle. En effet, dans la configuration de la compensation, une relation ne tient que parce que l’autre existe.
Ça c'est statistiquement vérifié sur le site. :deal:
Il existe pour chaque problème complexe une solution simple, directe et fausse (H.L. Mencken)
Répondre